In partnership with the World Innovation Summit for Education (WISE), Le Monde has featured Luminos’ Speed School program–a 2017 WISE Award Winner–in a recent article exploring how NGOs can support national education systems. Author Hélène Seingier argues that the “rigidity and lack of resources” in Ministries of Education limit their ability to reach the most marginalized children, and that programs such as Speed School have the flexibility to fill this need. The Speed School program takes a fresh approach to learning and pedagogy that reaches the boys and girls who have slipped through the cracks. The full article is available below or on Le Monde’s website.
Quand les ONG dessinent un système éducatif parallèle
Diverses organisations ont mis en place des méthodes adaptées aux enfants à la scolarité en pointillé. Dans les camps de réfugiés ou ailleurs.Et si on apprenait l’alphabet avec les mains, en modelant des A et des B dans de l’argile ? Et si c’étaient les « grands » qui transmettaient ce qu’ils ont compris aux plus jeunes ? Avec ces techniques, en Ethiopie, les Speed schools ont déjà permis à 100 000 enfants non scolarisés de rattraper, en un an, l’équivalent de trois années scolaires. Cela a valu à la fondation d’être finaliste des Wise Awards 2017.
Comme des centaines de projets d’associations, l’initiative sort des sentiers battus de la pédagogie et réconcilie avec l’école des garçons et filles qui semblaient perdus pour la cause. « Dans le monde, 264 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, notamment les filles, les enfants entrés trop tôt dans le monde du travail et ceux qui sont affectés par un conflit », rappelle Morgan Strecker, spécialiste de l’éducation à l’Unicef. Rigides et manquant de moyens, les systèmes étatiques peinent à accéder à ces publics – et encore plus à adapter l’école à leurs besoins. L’Unicef soutient ainsi un projet mené par Caritas au Liban, en Palestine et bientôt au Bangladesh avec les réfugiés du Myanmar. A travers des jeux simples, comme fabriquer une voiture avec des bouteilles vides, The Essence of Learning aide à recréer un lien avec l’enfant traumatisé, lui donne confiance en lui et le remet sur la voie de l’apprentissage.
Livret d’apprentissage modulable
C’est le même souci de l’adaptation qui guide les enseignants des Escuelas Nuevas (« écoles nouvelles ») de Vicky Colbert, lauréate du prix Wise 2013, cette fois dans la Colombie rurale. Nombre d’enfants y manquent plusieurs semaines de classe chaque année pour aider leur famille lors des récoltes. « Le système éducatif rigide expulse ces élèves et les fait redoubler ! Nous, on pense que c’est au système de s’adapter », affirme Carlita Arboleda, d’Escuela Nueva. Avec des livrets d’apprentissage modulables, en élaborant le savoir au lieu de le recevoir du professeur, les enfants assimilent les connaissances à leur propre rythme. La sociologue qui a créé cette méthode il y a quarante ans visait les écoles de campagne où plusieurs niveaux cohabitent dans la même classe. Mais l’absentéisme, le redoublement et le décrochage ont tellement chuté que le gouvernement a étendu l’expérience à toute la Colombie. Plus de 15 pays, de la Zambie au Timor-Oriental, ont depuis adopté le modèle.
Innovantes dans leur pédagogie, ces structures mènent aussi un travail de fourmi sur le terrain pour changer l’état d’esprit des familles. « En Inde, pour les communautés, une fille de 10 ans est trop âgée pour aller à l’école, elle doit être mariée », rappelle Safeena Husain. Elle-même élevée dans le patriarcat et la pauvreté, elle a créé Educate Girls (« éduquer les filles »), qui, en dix ans, a remis 200 000 fillettes sur le chemin de l’école. Le secret ? Une armée de 10 000 volontaires qui rencontrent les familles en faisant du porte-à-porte puis offrent des cours de rattrapage aux nouvelles élèves.
De l’Ethiopie à l’Inde, tous ces acteurs disent l’importance de travailler avec les gouvernements, notamment pour influencer peu à peu le système. « Il y a un manque de moyens des Etats mais parfois aussi de volonté, car éduquer intelligemment ces enfants pauvres n’est pas leur priorité », souligne Frédéric Boisset, président de l’association SEED, qui soutient des associations d’éducation alternative dans les pays en développement. L’une d’elles est Jiwar (« voisinage »), qui agit dans les quartiers défavorisés de Rabat ou de Salé, au Maroc. Elle s’installe dans les locaux des écoles et propose l’équivalent de classes maternelles gratuites, inexistantes dans le public. Sur les 3 500 enfants passés par ces maternelles solidaires, 90 % sont toujours scolarisés. Surtout, les activités sont axées sur l’ouverture au monde et la tolérance ; une façon de contrer l’influence des islamistes, très présents dans le préscolaire.
Prosélytisme
« Après avoir longtemps construit des écoles, nous sommes entrés dans les contenus des enseignements », précise ainsi Joseph Nzaly, de World Vision Sénégal. Il assure que le nombre d’élèves sachant lire en fin de cycle a quadruplé, et que la composante religieuse n’a jamais posé problème. Mais l’Afrique de l’Ouest est le terrain du chercheur Louis Audet-Gosselin, du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux et la radicalisation, et lui dit avoir vu des élèves musulmans se convertir au protestantisme évangélique. « Cela fait partie de la foi évangélique de “sauver” des gens par des conversions. Et certains Etats estiment qu’un certain niveau de prosélytisme est acceptable tant que l’ONG met en place des actions éducatives valables. »
Plus à l’est, au Kenya, le risque soulevé n’est pas celui du prosélytisme mais de la marchandisation. Les écoles privées de Bridge s’y attirent les critiques. Financées par des bailleurs aussi prestigieux que la Banque mondiale, elles sont accusées de faire payer chèrement aux familles un enseignement dont la qualité n’est pas évaluée. Preuves à l’appui, plus de 170 organisations du monde entier ont lancé un appel à la vigilance en août dernier. Avec ses millions de « clients » potentiels et tous ces jeunes esprits encore malléables, l’éducation parallèle attise bien des convoitises.
Cet article fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec le World Innovation Summit for Education.
Par HÉLÈNE SEINGIER